La radiothérapie dans le traitement du cancer du sein gauche : quand la respiration joue son atout cœur

Auteur:

Geneviève VAN OOTEGHEM, Radiothérapeute, Doctorante à l'UCL

La réalité du cancer du sein en 2018

Touchant environ une femme* sur 8 avant l’âge de 85ans, le cancer du sein reste de loin le cancer le plus fréquent chez la femme. Il est malheureusement aussi grevé du plus haut taux de mortalité lié au cancer, et ce malgré les progrès techniques, technologiques ou encore pharmaceutiques de ces dernières années.


Qui plus est, ce cancer n’est pas réservé à la population vieillissante mais atteint également des patientes jeunes, voire très jeunes. On estime que 20 à 25% des patients ont moins de 50 ans lors du diagnostic, et que 5% ont moins de 35 ans. Outre les prédispositions génétiques qui interviennent probablement dans la survenue du cancer chez ces jeunes patientes, d’autres facteurs, notamment sociétaux, participent à l’augmentation de l’incidence du cancer du sein dans nos contrées (profil sédentaire, obésité, âge plus avancé lors de la première grossesse, …).

La place de la radiothérapie dans le traitement d’un cancer du sein

De nos jours, le traitement chirurgical reste la pierre angulaire du traitement du cancer du sein localisé (c’est-à-dire non-métastatique). Les tumorectomies (résection de la tumeur) sont privilégiées par rapport aux mastectomies (résection d’un sein complet) qui restent encore vécues comme de réelles mutilations par certaines patientes et/ou leurs conjoints. La tumorectomie impose alors le plus souvent une radiothérapie post-opératoire (dite adjuvante). Son objectif est de réduire le risque de récidive cancéreuse dans le sein restant et d’améliorer la survie des patientes. Les bénéfices de cette radiothérapie adjuvante ne sont plus à démontrer. Et à l’instar des évolutions pharmaceutiques (chimiothérapie, thérapies ciblées, immunothérapie), la radiothérapie a fait des progrès majeurs ces dernières années. Outre leur survie, les patientes ont ainsi vu leur qualité de vie s’améliorer. Les lymphœdèmes sévères (à l’origine des « gros bras ») en sont quasiment relégués aux bancs de l’histoire, de même que les seins durs ou inesthétiques.

La protection des organes sains : une priorité en radiothérapie !

Survie et qualité de vie auraient-ils enfin trouvé leur équilibre ? ou en d’autres termes, efficacité et absence de toxicité, est-ce possible ? Cette question se pose a fortiori chez les patientes qui présentent des stades précoces de la maladie (taille tumorale < 5 cm, peu ou pas d’infiltration ganglionnaire et absence de métastases) où la survie à 5 ans dépasse les 90%. Ces patientes bénéficient d’une longue espérance de vie après les traitements. Leur qualité de vie est donc également une priorité. Aussi la question de la toxicité à long terme de ces mêmes traitements surgit-elle rapidement. La toxicité cardiaque des traitements de radiothérapie est une réelle préoccupation. Cette préoccupation est d’ailleurs d’autant plus importante que le cancer touche le sein gauche, et une femme jeune. Le cœur et son artère coronaire principale, l’artère inter-ventriculaire antérieure, sont en effet localisés à proximité immédiate du sein gauche. Les traitements de radiothérapie, par irradiation contiguë du cœur, pourraient donc influencer l’incidence des pathologies cardio-vasculaires chez ces patientes. Bien qu’il soit difficile de clairement déterminer l’impact de la radiothérapie parmi tous les autres facteurs de risques cardio-vasculaires bien connus comme le tabagisme ou l’obésité, le monde de la radiothérapie ne peut méconnaître cette situation. Les techniques de radiothérapie se sont donc adaptées.

Les techniques actuelles profitent de la localisation en surface du sein pour son irradiation. En effet, l’utilisation de faisceaux de rayons tangentiels au sein permet d’éviter une irradiation futile des organes sains en arrière du sein, tels que le poumon et le cœur (à gauche). Afin de limiter davantage la dose reçue par le cœur, d’autres techniques se sont développées. Parmi elles, les techniques d’inspirations bloquées profitent d’un changement de configuration anatomique du poumon et du cœur lors de l’inflation pulmonaire.

Ce simple exercice respiratoire permet en effet d’augmenter la distance entre le sein et le cœur, et de ce fait, diminuer la dose de rayons reçue par le cœur. Le poumon quant à lui, ne reste que très faiblement irradié, proportionnellement à son volume total .

Ci-contre : coupes transversales de scanner passant par le sein gauche et le cœur. L'image de gauche a été acquise en respiration libre. L'image de droite a été acquise en inspiration bloquée. On peut y voir l'inflation pulmonaire et l'augmentation de l'espace entre le cœur, l'artère coronaire et le bord postérieur du faisceau d'irradiation qui entreprend tout le sein gauche.

Aux Cliniques Universitaires Saint Luc, cette technique fait partie de la routine clinique depuis maintenant plusieurs années. Les inspirations bloquées sont maintenues en plateau pour une durée moyenne de 20 secondes permettant la délivrance d’une partie du traitement. Elles sont répétées successivement 6 à 8 fois pour permettre de délivrer la totalité de la dose requise à chaque séance de radiothérapie.


Cette technique est séduisante car elle repose sur un principe simple et accessible. Elle ne nécessite que peu de moyen et se met donc facilement en place. Mais elle possède également des limites dont il faut tenir compte pour assurer une qualité optimale du traitement. Tenir une inspiration bloquée en plateau pour une durée de 20 secondes n’est pas toujours aisé. Le niveau d’inspiration n’est pas toujours facilement reproduit, et le stress peut facilement mettre les patientes en difficulté.

Afin d’épauler les patientes dans ces exercices respiratoires, notre équipe en radiothérapie (infirmiers, technologues et médecins) s’est formée à cette pratique, au coaching respiratoire et à l’accompagnement des patientes. En outre, nous nous sommes équipés d’un système d’imagerie de surface qui permet de contrôler en temps réel le niveau du thorax, et de le monitorer tout au long du traitement. Ceci permet ainsi de sécuriser la technique, et d’assurer une irradiation optimale. 

Ci-contre: système d'imagerie de surface qui permet de contrôler en temps réel le niveau du plateau inspiratoire ainsi que son maintien.

 

La plupart des traitements de radiothérapie en inspirations bloquées se réalisent donc aujourd'hui sans difficulté, ce qui participe au succès de cette technique. Ceci étant, certaines patientes peinent à réaliser ces exercices ou à maintenir des plateaux inspiratoires suffisants ou constants. C’est donc toujours en quête d’amélioration de la qualité de nos traitements que notre service de radiothérapie essaie de développer des techniques innovantes pour aider et accompagner au mieux les patientes. Nous sommes ainsi en train de développer une technique basée sur l’utilisation de respirateurs de manière non-invasive qui, en coopération avec les patientes, pourrait soulager leurs efforts et faciliter le maintien des plateaux inspiratoires.  Cette technique est encore en cours de développement mais pourrait étoffer notre arsenal thérapeutique, au service des patientes.


*par facilité de lecture et par souci de cohérence tout au long de l’article, le terme patient sera utilisé au féminin, le cancer du sein prédominant chez la femme. Notons cependant que le cancer du sein peut également atteindre les hommes (<1% des cancers du sein).