« PIPAC » : Nouvelle frontière thérapeutique pour les patients atteints de carcinose péritonéale.

(Pressurized Intra-Peritoneal Aerosol Chemotherapy) 

Auteurs: (au nom du groupe Pipac)

Daniel Léonard

Alex Kartheuser

Introduction

Sur 8000 cancers colorectaux en Belgique par an, environ 13% se présentent avec une carcinose péritonéale. Le pronostic des patients souffrant de carcinose d’origine colorectale était extrêmement péjoratif avec une survie atteignant rarement 5 mois. Il n’existait pas de traitement standard pour ces patients dont la qualité de vie était souvent affectée par la présence d’ascite ou l’apparition de syndrome occlusif.


En 1990, Sugerbaker et coll. ont proposé une thérapeutique originale associant une chirurgie de cytoréduction, consistant en la résection de l’ensemble de la maladie tumorale tant primitive, la cytoréduction, que les implants de carcinose, associée à une chimiothérapie intra-péritonéale. L’indication originelle de ce type de traitement étaient les pseudomyxomes péritonéaux. Secondairement les indications ont été étendues à la carcinose d’origine colorectale et appendiculaire ainsi que le mésothéliome péritonéal.


La CHIP, Chimiothérapie Hyperthermique Intra-Péritonéale est la combinaison de la cytoréduction radicale, de la chimiothérapie intra-péritonéale et de l’hyperthermie. Les anglo-saxons parlent de HIPEC acronyme de « hyperthermic intra-peritoneal peroperative chemotherapy ».


Le principe est basé sur l’effet de la chimiothérapie en contact direct avec les cellules cancéreuse. La pénétration dans les tissus de la chimiothérapie est cependant limitée et ne dépasse pas 2,5mm. Pour être efficace, la chimiothérapie intrapéritonéale périopératoire doit donc être précédée par une chirurgie de réduction tumorale radicale. Très récemment des résultats d’une étude randomisées, l’étude Prodige 7, semble montrer que la cytoréduction, dans les cas résécables, est des deux éléments de la CHIP le plus efficace.


Néanmoins, dans environ 40% des cas, la carcinose présente soit un volume soit une localisation ne permettant pas la résection ou, pour le moins, implique des gestes de cytoréduction jugés déraisonnables sur base du risque chirurgical. Pour ces patients considérés comme irrésécables, la CHIP classique n’est donc pas envisageable. Pour ces patients il n’y avait jusqu’ici pas d’autres choix que de poursuivre la chimiothérapie systémique tout en changeant de ligne pour espérer une réponse ou une stabilisation de la maladie.


La chimiotherapie intraperitoneale aérosolisée pressurisée ou “Pressurized Intraperitoneal Aerosolized Chemotherapy – PIPAC” est une nouvelle alternative thérapeutique pour ces patients. L’application clinique de la PIPAC a été mise au point par le groupe du Pr Reymond, au Marien-Krankenhaus de Herne en Allemagne, en 2011. Ce groupe a également établi les standards en matière de sécurité des patients et des professionnels de la santé.


Le principe de base d’une chimiothérapie intra-péritonéale, donc de contact, est maintenu. Les différences fondamentales avec la CHIP sont : 1- l’absence de nécessité de cytoréduction, 2- le caractère mini-invasif de la procédure et 3- la possibilité de réaliser plusieurs séances.

Principes et méthode de la PIPAC

La PIPAC permet une application intrapéritonéale de la chimiothérapie par voie mini-invasive. Elle consiste à nébuliser de la chimiothérapie directement dans l’abdomen d’un patient lors d’une laparoscopie sous forme d’aérosol.


Cette technique permet une distribution homogène de la chimiothérapie dans l’ensemble de la cavité abdominale. La PIPAC est effectuée avec une pression de travail de 12 mmHg. Cette pression supplémentaire permet une pénétration tissulaire de la chimiothérapie allant jusqu’à sept couches cellulaires permettant une pénétration bien plus importante que lors de CHIP classique. Le traitement des lésions centimétriques devenant possible lors de la PIPAC, la nécessité d’une cytoréduction maximale n’est pas nécessaire.


De plus, la technique mini-invasive permet une application répétitive de la chimiothérapie, majorant considérablement son efficacité. Enfin, l’accès à la cavité intra-abdominale rend possible l’évaluation de la réponse au traitement au moyen de la documentation du « Peritoneal Carcinomatosis Index » (PCI) et la réalisation de biopsies multiples avant et après traitement.


A l’heure actuelle, on préconise trois PIPAC pendant une période de trois mois. Les schémas de chimiothérapie actuellement recommandés sont : 1) oxaliplatine 92 mg/m2 pour la carcinose d’origine colorectale et 2) doxorubicine 1,5 mg/m2 et cisplatine 7,5 mg/m2 pour les autres étiologies.

La PIPAC a lieu sous anesthésie générale. Deux trocarts permettent l’exploration de l’abdomen, l’évaluation de l’étendue de la carcinose péritonéale et le prélèvement de biopsies. Un nébuliseur ou injecteur qui permet de projeter la chimiothérapie sous forme de fines gouttelettes est ensuite introduit. Cet appareil, spécialement conçu pour la PIPAC, est connecté à un injecteur haute pression.

Ci-contre :  Shéma du système de PIPAC avec la pompe à droite, le câblage reliant la pompe à l’injecteur positionné dans la cavité péritonéale (avec l’aimable accord du Prof Martin Hübner).

 Shéma du système de PIPAC avec la pompe à droite, le câblage reliant la pompe à l’injecteur positionné dans la cavité péritonéale (avec l’aimable accord du Prof Martin Hübner).

Le bon déroulement de la procédure est observé en temps réel grâce à l’optique. La chimiothérapie est nébulisée en quelques minutes puis laissée en suspension dans le ventre gonflé pendant trente minutes. L’exsufflation qui consiste à enlever l’air ayant permis la création du pneumopéritoine est réalisée en circuit fermé sur un filtre spécifique qui retient les molécules résiduelles de chimiothérapie encore en suspension. Une fois le tout évacué, les incisions sont refermées.


L’action combinée de l’aérosol et de l’hyperpression du pneumopéritoine permet une distribution homogène des agents médicamenteux dans l’abdomen ainsi qu’une pénétration en profondeur au sein des métastases péritonéales. Ce mode d’administration autorise une réduction des doses de chimiothérapie utilisées jusqu’à dix fois les doses conventionnelles, ce qui limite les effets indésirables généraux tout en augmentant les effets locaux.


Dans 10 à 20 % des cas, la PIPAC, ne peut être pratiquée en raison d’adhérences (accolement entre deux organes abdominaux, séquellaire d’une précédente chirurgie ou due à l’évolution de la maladie) qui seront découvertes lors de la première tentative de PIPAC.


Après l’intervention, la douleur peut être importante le lendemain et le surlendemain de l’intervention. Des traitements adaptés permettent cependant de les contrôler et de viser une durée d’hospitalisation de 2 jours en général.

Résultats actuels de la PIPAC

La PIPAC peut être proposée à des malades atteints d’une carcinose péritonéale qu’il s’agisse d’une carcinose d’origine colorectale, gastrique, ovarienne ou d’une maladie rare comme le pseudomyxome péritonéal ou le mésothéliome péritonéal.
Cette technique est actuellement proposée aux patients dont la maladie est stabilisée par l’administration régulière de chimiothérapie systémique (intra-veineuse) mais qui ne peuvent pas subir de CHIP pour les raisons déjà évoquées. Elle est répétée trois fois à six semaines d’intervalle.


La PIPAC ne fait pas concurrence au traitement de référence de la carcinose péritonéale qui est la chirurgie de cytoréduction associée à une CHIP. Elle apparaît plutôt comme un traitement complémentaire qui, à terme, pourrait être proposé à des patients trop fragiles pour supporter une CHIP, qui auraient développés une résistance temporaire aux chimiothérapies systémiques conventionnelles ou qui aurait une extension trop importante pour bénéficier d’une chirurgie complète avec CHIP.


Plusieurs études cliniques ont été menées en Allemagne par l’équipe du Pr Reymond, le concepteur de cette technique. L’une d’elles a démontré une réponse clinique et/ou histologique dans plus de 60 % des cas chez des patientes en récidive d’une carcinose péritonéale d’origine gynécologique avec une résistance aux traitements de chimiothérapie conventionnelle.


Une étude de phase II portant sur la sécurité et l’efficacité de la PIPAC chez des patientes présentant une rechute platine-résistante d’un cancer de l’ovaire a permis de montrer plus de 70 % de réponses cliniques ou histologiques et ce, sans altération de la qualité de vie.


Avec près de 1000 procédures PIPAC effectuées par le groupe du Prof Reymond, les résultats cliniques sont prometteurs. Les premiers résultats d’une étude ouverte de phase 2, incluant 64 patientes pour le cancer ovarien, viennent d’être publiés. L’effectif était composé de patientes qui présentaient une récidive postopératoire résistant à au moins deux lignes de chimiothérapie standard. L’amélioration du PCI était bien corrélée à la régression tumorale histologique (76 et 76% respectivement) chez les patientes qui avaient bénéficié des trois séances planifiées. Sur les 64 patientes, le taux de non-accès laparoscopique était de 17%. Sur 53 patientes éligibles pour des analyses, 33 (62%) ont présenté une réponse tumorale (selon les critères RECIST version 1.1) et 34 (64%) ont pu bénéficier des trois procédures PIPAC. Une régression tumorale à l’histologie et une diminution de l’index PCI ont été observées chez 26 (76%) de ces 34 patientes. Aucun décès n’a été lié au traitement. Le taux de morbidité postopératoire était de 17% dans ce contexte oncologique avancé. Les complications survenues étaient partiellement évitables et se présentaient comme suit : hernies de trocart (n = 2), obstruction intestinale (2), douleurs abdominales (2), hématome (1), saignement postopératoire (1) et cystite avec urosepsis (1). De plus, le score de qualité de vie selon les critères EORTC QLQ-30 (European Organization for Research and Treatment of Cancer QLQ-C30) prenant en compte la santé physique, nausées, vomissements, perte d’appétit, diarrhée et constipation reste excellent, même entre les applications de PIPAC.

Constitution du Groupe PIPAC et Formation d’une équipe PIPAC

Comme pour tous les projets de l’Unité de Chirurgie Colorectale, la mise en pratique passe d’abord par la formation d’un groupe pluri-disciplinaire et inter-métier soudé permettant une mise en œuvre couvrant d’emblée tous les aspects techniques, médicaux et para-médicaux et visant avant tout une prise en charge optimale du patient. Le groupe PIPAC a donc été constitué dès le début de l’implémentation de ce nouveau mode de traitement et ne comprend pas moins de 44 personnes issues de 4 disciplines médicales et 17 métiers différents.

Dans un but de formation des équipe, l’Unité de Chirurgie Colorectale a organisé un colloque « CHIP – PIPAC » le 4 Juin 2018. Entre autres orateurs, Le Prof Marc Reymond a été convié et a présenté les principes et résultats de la PIPAC (Programme du staff).

D’autre part, pour une implémentation dans les règles et, en particulier, une certification de l’équipe, celle-ci s’est rendue au Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV) à Lausanne les 12 et 13 février 2018 et à l’Hôpital Lariboisière à Paris les 19 et 20 avril 2018. Le CHUV, sous la direction des Profs Nicolas DEMARTINES, Dieter HAHNLOSER et Dr Martin Hübner, et l’Hopital Lariboisière sous la direction du Prof Marc POCARD, tous deux en collaboration avec le Prof Marc REYMOND proposent des work-shops certificatifs pour la PIPAC.

Ci contre : Programme du Grand Staff du Service de Chirurgie et Transplantation Abdominale du 4 Juin 2018

 

Programme du Grand Staff du Service de Chirurgie et Transplantation Abdominale du 4 Juin 2018

Premiers cas aux Cliniques universitaires Saint-Luc

Les deux premiers patients ont pu bénéficier de la PIPAC aux Cliniques universitaires Saint-Luc le 5 juin 2018. Les interventions ont été réalisées avec le concours du Prof Mard REYMOND et se sont déroulées sans aucunes difficultés. Les suites des deux patients ont été simples avec un retour à domicile dans les 48 heures.